La migraine tue des moments de vie

La migraine, grande oubliée du système de santé français. 

Cet article a pour objet de démontrer par des chiffres, mais aussi par des mots, la réalité de l’impact de la migraine sur les malades qui en sont atteints.
Il reprend des éléments présentés lors de conférences de presse et d’interviews, réalisés en 2022 et 2023.

Notre enquête Parcours de soins du patient migraineux réalisée en 2022 a permis d’illustrer cette réalité par des chiffres. Ceux-ci sont sans appel et démontrent que la souffrance des malades ne se réduit pas à quelques cas de témoignages isolés rapportés dans les magazines.
Une grande partie de notre communauté souffre et est touchée dans sa chair, mais également dans tous les aspects de la vie.

migrainetuemomentsdevie scaled

Des chiffres édifiants

La Voix des Migraineux rassemble une communauté de plus de 20 000 followers à travers les réseaux sociaux. La plupart des membres de l’équipe de bénévoles souffrent de migraine. Nous disposons ainsi d’une vision globale, avec un nombre plus que significatif de retours d’expérience de patients. 

Afin d’objectiver ces constats, nous avons réalisé une enquête sur le parcours de soins des patients migraineux à laquelle 683 personnes ont répondu, via un questionnaire diffusé sur les réseaux sociaux avec recueil de consentement. Cette enquête très riche, réalisée en 2022, portait sur de nombreux aspects de la prise en charge de la migraine, sur l’impact fonctionnel ainsi que sur les relations patients/soignants. Elle a été réalisée de mars à mai 2022 en partenariat avec MOIPATIENT et CEMKA.

Dans cet article, nous reprenons uniquement les chiffres illustrant l’impact fonctionnel de la migraine.

Les données sur l’impact fonctionnel reflètent une réalité méconnue avec des chiffres effrayants.

L’impact sur la vie privée et professionnelle est considérable. En effet, 70 % des 683 répondants rapportent 21 jours d’incapacité ou de perte de productivité sur les 3 derniers mois. Cela représente au minimum 21 jours de moment de vie tués par la migraine.

► Les répercussions sur la vie professionnelle ci-dessous illustrent cette réalité :

  • 1 migraineux sur 2 a manqué au moins 1 jour de travail sur les 3 derniers mois (en moyenne, 15 jours).
  • 17 jours de baisse d’au moins 50 % de la productivité au travail.
  • 1 migraineux sur 2 prend trop de traitements de crise pour pouvoir (aller) travailler.
  • 1 migraineux sur 3 se met en danger en conduisant pour aller travailler les jours de crise.

► Le retentissement sur la vie privée s’avère tout aussi important, avec en moyenne :

  • 16 jours d’incapacité à réaliser les activités ménagères habituelles.
  • 19 jours de manque de productivité pour réaliser les tâches ménagères habituelles.
  • 15 jours pendant lesquels les migraineux ont manqué à leurs activités familiales, sociales et de loisir.

Ces chiffres font écho à ceux de l’Organisation Mondiale de la Santé. Le Global Burden Disease classe la migraine comme 2nde maladie invalidante au monde, 1ère pour les femmes (2019).

La répartition des maladies présentant le plus de perte d’années de vie en bonne santé s’établissait ainsi en 2016 : AVC 42 %, migraine 16 %, démence 10 %, méningite 8 %, épilepsie 5 %.

En 2022, l’OMS a publié le Intersectoral global action plan on epilepsy and others neurological disorders, plan global qui s’étale de 2022 à 2031. Elle y a défini 6 priorités pour l’amélioration de la prise en charge des maladies neurologiques, dont les trois premières sont :

Ce sont les défis que doit relever l’association LA VOIX DES MIGRAINEUX.
Elle s’y attelle jour après jour sans relâche depuis plus de 5 ans.
LA MIGRAINE doit devenir un ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE.

Au-delà des chiffres, la migraine c’est aussi toute une vie impactée.

► Se maintenir dans l’emploi est un défi permanent.

Le plus souvent, on y retrouve de multiples déclencheurs : luminosité excessive, bruit, parfums et odeurs, difficultés à trouver un moment de calme, stress.
Quand la crise arrive, nous sommes nombreux à nous réfugier dans les toilettes, seul endroit calme où nous pouvons éteindre la lumière pour prendre notre traitement de crise, et vomir pour certains. De retour à notre poste, hagards, nous sommes moins productifs. Un brouillard mental nous envahit. Certains se réfugient dans leur voiture en attendant de pouvoir conduire. Rentrer avec les transports en commun relève de la descente aux enfers : bruits, bousculades, luminosité, parfums et odeurs, musique, se retenir de vomir. Comme si cela ne suffisait pas, nous sommes nombreux à subir le manque de compréhension des collègues, qui peut aller jusqu’à la stigmatisation.

Devant de tels obstacles, le maintien dans l’emploi devient parfois impossible, avec pour conséquence la désinsertion professionnelle. Pour ceux qui la subissent, cela s’apparente à la perte de rôle dans la société. En effet, socialement, la première question posée lors d’une rencontre se résume à « Que faites-vous dans la vie ? », sous-entendu « Quelle est votre profession ? ». Dans notre société, l’exercice d’une profession est le critère incontournable pour être considéré comme « actif ».
À cela s’ajoute la dégradation du droit à une vie digne, car les revenus deviennent insuffisants, voire inexistants.

► Dans la vie privée, dans la mesure du possible, nous nous réfugions dans notre “grotte”.

L’isolement et l’immobilité nous sont précieux et nécessaires.
En pleine crise, généralement, nous nous isolons dans une pièce avec les volets fermés ou un bandeau sur les yeux, car le plus petit rayon lumineux nous est intolérable. Si l’endroit n’est pas calme, alors il nous faut faire usage de bouchons dans les oreilles, car le moindre bruit est l’équivalent d’un puissant roulement de tambour. Le mouvement aggrave bien souvent la douleur, il vaut donc mieux rester immobile. Nous ne supportons pas d’être touchés.

En crise, nous sommes en « mode survie ». Malgré la nausée, il faut essayer de manger car l’hypoglycémie est un déclencheur, et essayer de boire car la déshydratation est un déclencheur.

Les vomissements font partie des symptômes possibles. Ceux-ci peuvent être intenses et répétitifs. Certains d’entre nous n’ont d’autre choix que de garder une bassine ou un seau à côté du lit. Cela peut durer des heures et, exceptionnellement, aller jusqu’à la déshydratation.

Prendre soin de notre corps devient parfois un défi insurmontable. Les mouvements aggravent la douleur. Ainsi, les activités quotidiennes comme la douche se transforment en une action si épuisante qu’elles peuvent s’avérer inenvisageables pour nous.

Réaliser les tâches du quotidien décuple la douleur et les autres symptômes.
Faire le ménage devient insurmontable. Nous pencher pour charger/vider le lave-vaisselle, sans compter le bruit de la vaisselle, est souvent une épreuve intolérable. De même que nous occuper du linge.
Imaginez les difficultés que nous rencontrons, en tant que parents migraineux, pour nous occuper de nos enfants, aller les chercher à l’école puis accomplir les routines du soir.

On parle peu du tsunami des émotions générées par la migraine.
Celles-ci perturbent nos ressentis. Nous pouvons être plus émotifs, irritables, déprimés, rarement euphoriques, et ceci avant, pendant ou après une crise. C’est déstabilisant pour nous, car nous avons l’impression de perdre le contrôle. Ça l’est également pour notre entourage, et peut engendrer des difficultés relationnelles.

La migraine, c’est aussi la frustration. Au-delà de la douleur, elle nous vole des moments de vie.
C’est une belle journée ensoleillée où nous aurions pu aller nous promener, boire un café avec un.e ami.e… C’est une journée où nous aurions pu visiter un musée, faire du lèche-vitrines, honorer notre séance de sport… C’est une soirée où nous aurions pu regarder un film en famille, terminer le dernier roman en cours, nous rendre au cinéma, profiter d’un restaurant… « Nous aurions pu ».

Sans prévenir, elle peut également tuer des moments uniques au cours de notre vie. Elle survient par exemple pendant les fêtes, alors que parfois, c’est la seule occasion de l’année de voir certains membres de la famille. Nous les passons dans la douleur, allongés dans notre chambre et/ou abrutis par les médicaments. Il nous arrive de manquer des fêtes, des anniversaires, des mariages de proches. La migraine, imprévisible, peut même s’inviter le jour de notre propre mariage. La migraine n’a aucune pitié.

Pour multiplier les chances de pouvoir profiter de ces moments, nous devons calculer, négocier.
Alors, nous gérons les priorités, nous évitons de cumuler les déclencheurs. Par exemple, si une sortie ou une fête de famille est prévue, nous nous reposons avant pour avoir l’énergie d’en profiter. Nous reportons aussi certaines activités. L’important est de profiter de ce moment privilégié. Nous avons de surcroît conscience de la possibilité d’une crise le lendemain.
Cependant, éviter les déclencheurs ne fonctionne pas systématiquement, et les éviter à tout prix n’est pas souhaitable car alors, nous resterions en marge de la société, privé de nombreux petits et grands bonheurs.  

Une fois la crise “terminée”, cela n’est pas terminé pour le migraineux.
Nous ressortons pantelants, hagards, courbaturés d’une crise. Comme si un camion nous avait roulé dessus, comme si l’on nous avait roué de coups. Nous récupérons progressivement nos pleines capacités cognitives. Une fatigue intense s’abat sur nous. Même si nous n’avons pas plus « mal à la tête », la tornade passée laisse sur nous des séquelles, qui nécessiteront plusieurs heures pour s’atténuer.

La migraine, c’est aussi la culpabilité.
Nous nous sentons coupable d’avoir laissé les tâches s’accumuler pendant la crise. Plutôt que nous accorder un légitime temps de récupération, et prendre du temps pour nous, nous nous dépêchons de rattraper le retard dans les tâches ménagères et professionnelles.
C’est aussi la culpabilité d’infliger la migraine et son impact à nos proches et nos collègues qui s’insinue dans le cerveau du migraineux.

Malgré tout, nous nous relevons et nous essayons de profiter de la vie.
Nous sommes des gens normaux et nous souhaitons une vie normale.

En dépit de ces chiffres et de ces mots, la migraine reste la grande oubliée du système de santé français. Les gouvernements successifs font peu de cas de la migraine. L’association a encore beaucoup à faire pour obtenir l’organisation d’un parcours de soins dédié à la migraine, ainsi que le remboursement des traitements innovants spécifiques à la migraine.

L’espoir existe cependant. Nous avons entamé de nombreuses démarches et posé des jalons. Le chemin est long et tout ne se fera pas en un jour. Depuis que l’association existe, le regard sur la migraine a changé dans les principales institutions de santé.
La Voix des Migraineux ne lâche rien.

Rédigé par Sabine Debremaeker.

Partenaires de l’enquête :

MOIPATIENT est une plate-forme de recherche participative et citoyenne. Elle s’est donné pour objectif de permettre aux associations d’organiser des enquêtes dans des conditions scientifiques, tout en impliquant les patients dans la recherche. Cela permet aux patients de partager leurs propres données sur l’évaluation des systèmes de santé dans des conditions éthiques.
CEMKA est un bureau d’études et de conseil en matière de santé. La directrice scientifique de cette enquête était Anne DUBURQ, épidémiologiste, directrice générale et directrice du pôle Santé Publique.

Toutes les conditions étaient réunies pour que cette enquête soit reconnue officiellement.

Nous tenons à remercier tout particulièrement la SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ÉTUDES DES MIGRAINES ET CÉPHALÉES qui nous a remis le PREMIER PRIX de la meilleure communication lors de son Congrès Annuel en juin 2023, pour le poster de cette enquête.

Sources :

Enquête Parcours de soins du patient migraineux (2022, La Voix des Migraineux)

Enquête Migraine et emploi (2022, La Voix des Migraineux)

Sondage Impact de la migraine sur les émotions (2023, La Voix des Migraineux)

Intersectoral Global Plan of Action for Epilepsy and others neurological disorders (2022-2031, World Health Organization) https://acrobat.adobe.com/id/urn:aaid:sc:EU:5868bdba-8a43-4848-9ab9-429ddd4b441c

Mis en ligne le 21 mai 2024.