Migraine jusqu’à l’impensable, jusqu’à l’absurde

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Un témoignage de Nicolas, merci à lui d’avoir accepté de témoigner de son expérience en tant que conjoint. 

La rencontre et les débuts.

J’avais 25 ans et ma femme 22 lorsque nous nous sommes rencontrés. Nous étions dans le même service. Elle m’a très rapidement informé qu’elle était migraineuse pour que je puisse comprendre la raison de ses absences au travail. C’est elle qui m’a fait réaliser à quel point c’était handicapant. En dehors des crises, lorsqu’elles étaient assez espacées, nous arrivions à avoir un semblant de vie normale. Très souvent un « fond » de mal de tête restait présent, l’encourageant à être vigilante et à ne pas trop « forcer » pour éviter de faire ressortir une crise. Durant certaines périodes, lorsque les crises étaient rapprochées, nous évitions de prévoir trop de choses, de peur de devoir annuler au dernier moment. Il y avait en permanence cette épée de Damoclès empêchant de réellement profiter de la vie.

Lorsqu’elle était en crise j’avais un énorme sentiment d’impuissance. J’essayais souvent de lui masser la nuque, le crâne afin de faire baisser la douleur quelques secondes. Je passais des heures à ne pas savoir quoi faire, à éviter au maximum de faire du bruit.
Je mangeais régulièrement seul à l’écart dans la cuisine afin de diminuer le bruit et qu’elle puisse se reposer dans le salon. Mon moral s’en retrouvait énormément impacté, j’étais épuisé en permanence et n’arrivais plus à être positif entre les crises.

L’évolution.

Ma femme avait des migraines depuis l’enfance, je n’ai pas beaucoup d’informations sur cette époque car « parler migraines » avait tendance à en déclencher, on évitait donc au maximum. Nous sommes restés ensemble cinq ans. La fréquence des crises était variable, mais je donnerais une moyenne de 4-5 crises par mois en hiver et 8-10 crises par mois en été.

Au sommet des crises elle devait rester couchée et s’isoler du bruit au maximum. Se relever, pour aller aux toilettes ou essayer de manger était horrible, je la revois se lever, rester sur place en fermant les yeux pour attendre que ça tape un peu moins. Une crise pouvait durer quelques heures comme plusieurs jours. Lorsqu’elle avait peu de crises parfois un simple doliprane couplé à un café pouvait suffire pour casser une crise montante. Mais plus les crises se rapprochaient, moins les traitements étaient efficaces. L’obligeant à effectuer des sevrages médicamenteux lorsque toutes les options étaient épuisées.

Lorsque nous nous sommes connus, elle avait un traitement nasal qui fonctionnait très bien et cassait systématiquement la migraine, malheureusement il avait de moins en moins d’effet avec le temps. Jusqu’à ne plus servir à rien. Moins les traitements fonctionnaient plus les arrêts de travails étaient fréquents. Son dernier employeur était extrêmement bienveillant et comprenait la situation. L’avant dernier était à l’opposé, disposant d’une médecine du travail interne à la société, elle avait été menacée de licenciement pour inaptitude. Son responsable l’appelait durant ses arrêts et également durant une hospitalisation afin de savoir quand elle comptait reprendre. La peur de perdre son emploi l’avait vraiment affectée, et avait renforcé son sentiment d’être incomprise.

La prise en charge et les traitements.

Depuis notre rencontre j’ai vu ma femme être suivie, notamment par différents neurologues. Mais également par différents médecins généralistes, certains récalcitrants à lui délivrer des arrêts de travail, malgré son ALD, lui conseillant d’aller voir un psy ou de faire du sport, comme une solution miracle. 

Les neurologues ont pu lui faire tester plusieurs traitements, de fond et de crise. Je n’ai pas tous les noms en tête. Les effets secondaires n’étaient pas toujours simples et jouaient sur son moral, un traitement lui avait fait prendre une trentaine de kilos, ce qu’elle vivait mal.
Parallèlement à ça, comme précisé plus haut, elle a dû être hospitalisée plusieurs fois afin d’effectuer des sevrages médicamenteux et espérer que les traitements fassent à nouveau effet. Durant l’une de ces hospitalisations, les équipes médicales lui ont volontairement administré un placebo en intraveineuse afin de vérifier si elle mentait sur sa douleur, lui avouant après coup que c’était un test afin de contrôler sa bonne foi.
Ça m’a réellement fait comprendre que ce mal n’était pas pris au sérieux et même moqué par une partie du corps médical.

Elle a également testé diverses solutions alternatives : plusieurs ostéopathes, hypnose, médecine chinoise, CBD. Ainsi que plusieurs rendez-vous dans un centre de gestion de la douleur hospitalier, lui ayant notamment permis de tester le Cefaly avant de l’acheter.
Bien entendu, l’achat du Cefaly, des électrodes, ainsi que les tests de médecine alternative étaient à ses frais, rien n’étant pris en charge.

Les dernières années, ma femme avait réussi à s’entourer de spécialistes extrêmement compréhensifs. Pendant les crises de migraines, il lui était impossible de se déplacer. La possibilité de prendre contact avec son médecin par téléconsultation a été un vrai soulagement pour obtenir le soutien médical qu’une maladie aussi invalidante nécessite. Elle était aussi suivie par un professeur en neurologie qui comprenait réellement ses difficultés. La première fois qu’elle l’a rencontré, le simple fait d’entendre d’un professionnel de santé « Vous êtes réellement malade, ce n’est pas psychologique, c’est une vraie maladie » lui avait enlevé un poids énorme des épaules.

Le problème du coût.

Elle a pu aussi faire partie des essais cliniques d’un anti-CGRP durant un an. Les résultats ont été miraculeux, les crises étaient divisées par deux, voire trois. Malgré le stress lié à la conservation (température stricte à respecter, y compris durant le transport) et les trajets pour aller chercher le traitement dans un hôpital à 2h de route, cet essai était inespéré et ma femme a revécu grâce à lui. Malheureusement, à la fin de l’essai clinique, celui-ci n’était disponible que dans les pays limitrophes au prix de 500 €. Il lui en fallait 2 par mois. Ce montant exorbitant l’a empêché de poursuivre.

La descente.

Lorsque le test anti-CGRP s’est terminé ça a été le début de la chute et de la descente. Les crises sont remontées et se sont rapprochées. Le fait de savoir qu’un traitement était efficace mais ne pas pouvoir se l’offrir était pire que tout.
Elle a fait plusieurs dossiers, à l’assurance maladie ainsi qu’à sa mutuelle pour demander une prise en charge, même partielle. La mutuelle acceptait de participer à condition que l’assurance maladie participe. L’assurance maladie a refusé la prise en charge environ un mois avant son geste.

L’impensable.

Un jeudi elle avait eu une crise mais avait quand même réussi à manger le soir. Sa nuit du jeudi au vendredi n’a pas été bonne, le vendredi matin elle m’a dit qu’elle préférait rester en télétravail afin de faire une sieste durant midi. Je lui ai dit « À ce soir » et suis parti au travail.
Dans la journée, elle a décidé d’arrêter de se battre et a mis fin à ses jours. Ma vie a basculé en revenant du travail.

Elle n’a laissé aucun mot et n’a rien pris pour l’aider (ni alcool, ni médicaments), elle était au bout de ce qu’elle pouvait donner.

La culpabilité.

Aujourd’hui encore, plusieurs années après, je n’arrive pas à me défaire de cette culpabilité, ce sentiment d’avoir une part de responsabilité. Cette incompréhension de ne rien avoir vu le matin en lui disant au revoir.

J’ai été en arrêt plusieurs mois après ça, j’ai eu un gros suivi psychologique pour me permettre de continuer.

L’absurdité.

Je retiens surtout qu’en France nous avons une assurance maladie, qui certes est indispensable pour pleins de choses, mais que dans le cas des migraineux, l’assurance maladie ainsi que les organismes de mutuelles et assurances diverses préfèrent payer : 

… plutôt que 1 000 € par mois de traitement.

Votre cri du cœur ?

La migraine est trop souvent moquée, je ne comptais même plus moi-même le nombre de fois où j’ai entendu « Ta femme a encore mal à la tête » ou « Elle a pris du Doliprane ? ». Je n’imagine même pas tout ce qu’elle a pu entendre elle… Ce genre de réflexions entraîne une souffrance psychologique supplémentaire à la souffrance physique.

Régulièrement elle me disait « J’aimerais qu’on me trouve une tumeur au cerveau, au moins on me prendrait au sérieux ». 

Aujourd’hui la migraine gâche des vies. Des vies de migraineux mais également des vies de proches pour qui, comme pour moi, tout bascule en quelques secondes. La sensibilisation doit avoir lieu, les migraineux doivent être écoutés. Est-ce que réellement un traitement à 1 000 € par mois est trop cher pour sauver une vie ? 

Si vous avez des idées sombres ou des pensées suicidaires, ne restez pas seul. Pour vous aider à traverser cette période difficile et à essayer d’accepter la vie avec la maladie, n’hésitez surtout pas à faire appel à un professionnel (psychothérapeute, psychologue, psychiatre). Leur accompagnement est précieux. Prenez le temps de rencontrer le thérapeute et de choisir celui qui vous convient vraiment.

Ces organismes sont aussi là pour vous aider, n’hésitez pas à les contacter :
https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/sante-mentale/la-prevention-du-suicide/article/que-faire-et-a-qui-s-adresser-face-a-une-crise-suicidaire

https://sos-suicide-phenix.org
http://www.sos-amitie.com/
https://www.petitsfreresdespauvres.fr/nos-actions/accompagner-des-personnes/actions-d-accueil/a-l-ecoute-de-la-solitude.html

Mis en ligne le 19 mars 2024