Allodynie et migraine

En tant que migraineux, pour la plupart d’entre nous, la lumière, le bruit et les odeurs sont intolérables pendant la crise. Bouger est un calvaire qui aggrave les douleurs et rien qu’aller aux toilettes est une épreuve digne d’un marathon. Ce dont on parle moins souvent, c’est que pour une partie des migraineux, le toucher est également douloureux. Personnellement, j’ai envie de hurler quand on me met la main sur l’épaule pour me réconforter. Non, non, je ne hurle pas, ça ferait encore plus mal. Je me tais et les larmes coulent toutes seules. De toutes façons, je ne suis pas sûre de pouvoir parler clairement (il m’arrive de m’imaginer riposter avec un coup de poing mais ne le répétez pas). 

Cette perception douloureuse d’un stimuli non nociceptif (non douloureux) s’appelle l’allodynie

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On en distingue au moins 3 types. 

C’est un symptôme présent dans de nombreuses pathologies.
L’allodynie fait partie des symptômes d’hypersensibilité sensorielle retrouvés chez les migraineux  : la photophobie (intolérance à la lumière), la phonophobie (intolérance au bruit), l’osmophobie (intolérance aux odeurs).  

L’allodynie est un marqueur important de sensibilisation centrale. Une définition simple de cette dernière serait une sensibilité et une hyperréactivité des neurones nociceptifs (les neurones qui transmettent les messages douloureux) alors que le stimuli est normal, voire inférieur à la normale. Ce processus implique la moëlle épinière et le cerveau.

Une revue narrative publiée en janvier 2022 fait l’état des lieux des connaissances : Allodynie cutanée dans la migraine. Les auteurs rapportent que cette manifestation de la migraine a été décrite il y a plus de 100 ans.
Considérant les dizaines d’études publiées sur la migraine et l’allodynie ces dernières décennies, les auteurs estiment que les praticiens doivent avoir des connaissances à jour sur ce symptôme, afin de prendre en compte son importance dans la prise en charge de la migraine tant au niveau du diagnostic, que du pronostic et de la thérapeutique. Ils doivent également disposer de connaissances sur sa physiopathologie1.

Sa prévalence2 est évaluée entre 40 et 70 % selon les études. Ces différences s’expliquent par la méthodologie et les caractéristiques des patients dans chaque cohorte.

Différentes méthodes ont été utilisées. Il existe bien un test médical pour diagnostiquer l’allodynie ; cependant, il est long et coûteux et donc inadapté dans la pratique clinique courante. De plus, les malades ne sont généralement pas en crise lors de la consultation. Donc, dans la plupart des cas, le test reviendrait négatif. C’est pourquoi un questionnaire en 12 items a été élaboré et validé : ASC-12.

Les plus grandes études sur le sujet ont été réalisées aux États-Unis. La taille importante des groupes a permis de réaliser des sous-groupes afin d’évaluer l’incidence de la migraine selon les types de migraine et les profils des patients. Les facteurs qui semblent favoriser l’allodynie sont le sexe féminin, une apparition des migraines très jeune, une grande fréquence des migraines ainsi que la dépression au cours de la vie. Selon certaines études, le surpoids pourrait jouer un rôle.

La grande majorité des études s’accordent sur les faits suivants : l’allodynie est plus présente chez les personnes souffrant de migraines fréquentes. Quelques études rapportent une fréquence plus importante pour les migraineux avec aura ou en cas de surconsommation médicamenteuse. Une utilisation plus régulière voire systématique du questionnaire ASC-12 permettrait de recueillir plus de données afin d’affiner ces constats. En effet, cela peut être important pour le diagnostic mais également pour le traitement de la migraine.

Le développement de techniques d’imagerie3 de plus en plus précises et variées permet d’explorer non seulement la forme anatomique des différentes parties du corps, mais aussi le fonctionnement du cerveau.

Dès lors, le développement des connaissances des processus de la migraine progresse chaque année. Et bien qu’il reste de nombreuses questions sans réponses, cela a permis l’identification d’une partie des organes impliqués dans la migraine et l’exploration de certains dysfonctionnements.

Dans le cas de l’allodynie, le principal organe impliqué serait le thalamus dont la fonction est de relayer et de moduler les informations sensorielles et motrices entre le système nerveux périphérique et de nombreuses régions corticales, y compris la régulation de la douleur. Il est en outre impliqué dans la régulation du cycle veille/sommeil, de la conscience et des comportements cognitifs tels que la mémoire, l’attention et la prise de décision, ainsi que dans la modulation de l’information visuelle.

L’ALLODYNIE POUR EXPLORER LES OPTIONS THÉRAPEUTIQUES

Vivre avec une migraine chronique est un défi pour les patients. C’est aussi un défi majeur pour les neurologues et les chercheurs. Dans une partie des cas, la surconsommation médicamenteuse semble être en cause et un sevrage peut régler le problème. L’autre hypothèse la plus retenue est que la chronicisation de la migraine serait un problème de seuil de déclenchement des crises réduit. L’origine peut être la conséquence d’une sensibilisation centrale, d’une excitabilité continue et d’une hypersensibilité. Les personnes souffrant d’allodynie sont plus susceptibles d’évoluer d’une migraine épisodique à une migraine chronique aggravant l’impact fonctionnel de la migraine.

Pour ces patients avec un cerveau en permanence -ou presque- hypersensible, le docteur Richard LIPTON, qui a mené de nombreuses recherches sur l’allodynie, préconise de miser sur la prévention.

L’ALLODYNIE A UN RÔLE DANS LA RECHERCHE

L’allodynie handicapante pour le migraineux est un atout pour la recherche pré-clinique. En effet, elle est utilisée comme marqueur de la douleur sur les modèles animaux. Le test est utilisé pour évaluer la réponse à différentes substances, ce qui peut conduire au développement de nouveaux traitements.

En résumé, tous les auteurs s’accordent à dire que l’allodynie est un symptôme que les médecins devraient connaître et prendre en compte dans le diagnostic et les options thérapeutiques. De plus, le docteur LIPTON préconise que les soignants posent directement aux patients des questions sur l’impact fonctionnel de la migraine. Il conseille aux patients d’aborder cet aspect, en plus des symptômes, lors de la consultation. 

Notes :

  1. Physiopathologie : l’étude des mécanismes qui interviennent dans le dysfonctionnement des organes au cours d’une maladie. Le Petit Robert. ↩︎
  2. Prévalence : Médecine. Nombre de cas d’une maladie dans une population à un moment donné, englobant aussi bien les cas nouveaux que les cas anciens. Le Petit Robert. ↩︎
  3. Les différents types d’imagerie. Institut de Neurosciences de la Timone.
    https://www.int.univ-amu.fr/plateformes/irm ↩︎

Sources :

Compréhension actuelle de la structure et de la fonction thalamique dans la migraine. Samaira Younis, Anders Hougaard, Rodrigo Noseda and Messoud Ashina. Sage Journal, International Headache Society, 2018.
https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0333102418791595?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%20%200pubmed#body-ref-bibr17-0333102418791595

Allodynie cutanée dans la migraine : une revue narrative. Ane Mínguez-Olaondo , Sonia Quintas , Noemí Morollón Sánchez-Mateos , Alba López-Bravo , Marta Vila-Pueyo , Vesselina Grozeva , Robert Belvís , Sonia Santos- Lasaosa , Pablo Irimia. Janvier 2022, Frontiers in Neurology.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8830422/

Qu’est-ce que l’allodynie : cause, symptômes et traitements. Août 2023, American Migraine Foundation.
https://americanmigrainefoundation.org/resource-library/what-is-allodynia/

Allodynie cutanée comme prédicteur de la réponse au traitement dans la migraine chronique : une étude de cohorte. Judith A. Pijpers , Dennis A. Kies , Erik W. van Zwet , Irène de Boer & Gisela M. Terwindt. Août 2023, BioMed.
https://thejournalofheadacheandpain.biomedcentral.com/articles/10.1186/s10194-023-01651-9

Allodynie cutanée et seuils thermiques dans la migraine chronique : l’effet de l’onabotulinumtoxinA. Melek Ozarslan, Zeliha Matur, Erdem Tuzun, Ali Emre Oge. September 2022, ScienceDirect.
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0303846722002384

Multisensory Integration in Migraine. Todd J. Schwedt. June 2013, PubMed.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4038337/#:~:text=Migraine%20attacks%20consist%20of%20moderate,prominent%20during%20individual%20migraine%20attacks.

Traitement de l’allodynie et de la migraine : questions et réponses avec le Dr Richard Lipton. American Headache Society. Mai 2024.
https://americanheadachesociety.org/news/allodynia-migraine-treatment-qa-dr-richard-lipton/

Ce que l’allodynie nous dit de la migraine : questions et réponses Dr David Dodick. American Headache Society. Février 2024.
https://americanheadachesociety.org/news/what-allodynia-tells-us-about-migraine-david-dodick-md/

Symptômes d’hypersensibilité sensorielle dans la migraine avec ou sans aura : résultats du registre américain pour la recherche sur la migraine. 2020
https://americanheadachesociety.org/news/hypersensitivity-in-migraine/ 

Physiopathologie et thérapie des caractéristiques associées à la migraine. 2022
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9455236/

Compréhension actuelle de la structure et de la fonction thalamique dans la migraine. 2020
https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0333102418791595?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%20%200pubmed

Mis en ligne le 26 mai 2024.